Dernièrement, Sylvie Desrochers, enseignante au CFER des Patriotes, a réagi, dans une lettre ouverte, à trois chroniqueurs bien connus qui ont exprimé leur opinion sur les centres de formation en entreprise et récupération, programme qui s’adresse aux élèves en difficulté. Nous vous invitons à lire attentivement ses propos éclairants sur ce programme qui encourage des élèves à persévérer en leur donnant espoir d’intégrer un jour le marché du travail.
Bonjour M. Arcand,
Bonjour M. Dumont,
Bonjour M. Facal,
Je vous fais parvenir ce message à tous les trois, mais il part de l’intervention de M. Arcand et de l’article du journal de Montréal de lundi.
Je vous écris ce soir concernant votre sujet d’ouverture de lundi matin, des diplômes à rabais. Laissez-moi vous dire que mon réveil fut assez brutal. Je n’ai pas voulu vous écrire sur le coup de l’émotion parce que mes paroles auraient probablement dépassé ma pensée.
Je suis enseignante au programme CFER. CFER et non CEFER comme mentionné dans l’article. Le CFER est un centre de formation en entreprise et récupération fondé par le défunt Normand Maurice. J’ai aussi enseigné en FMSS, formation aux métiers semi-spécialisés.
J’ai lu, comme vous, l’article. Découragée, déçue de voir que mon travail est, encore une fois, dénigré dans les journaux. Personne n’est venu voir ce que nous faisons dans nos classes. Personne n’a osé poser des questions à des enseignants de ces programmes. Personne n’est venu nous demander comment l’enseignement des matières de base se fait avec des jeunes en difficultés d’apprentissage qui ont parfois 2 à 3 ans de retard académique.
Pour en revenir au CFER, j’ai vu venir au monde ce programme il y a plus de 20 ans. J’ai vu la construction du tout premier CFER à Victoriaville, ma région, mon école. Aujourd’hui, il y a 21 CFER au Québec. Aujourd’hui, j’enseigne à ce programme qui prône 5 valeurs: le respect, l’engagement, la rigueur, l’autonomie et l’effort. Normand Maurice avait comme but de faire de ses élèves plus « poqués » des personnes autonomes , des citoyens engagés et des travailleurs productifs. Je vous suggère de lire le livre « La pédagogie des poqués ». Vous pouvez aussi consulter le site suivant :http://www.reseaucfer.ca/apropos/mission/
Mes élèves sont en grandes difficultés d’apprentissage. Mes élèves sont agés de 15-16 ans et leur niveau académique est 5-6 années du primaire. La philosophie de Normand Maurice était d’enseigner le français, les maths, la géo et l’histoire de façon différente. Comme le CFER fait partie du parcours à l’emploi, nous enseignons ces matières de façon à ce que nos élèves puissent les utiliser dans leur vie future.
Je ne vous ferai pas l’inventaire de nos 4 outils pédagogiques puisque que je suis certaine que vous prendrez quelques minutes pour consulter le site afin de mieux vous informer. C’est à travers le journal que nous travaillons la géographie et l’histoire, l’économie et le français. C’est à travers la caravane que nos jeunes apprennent à se dépasser au niveau de l’expression orale. C’est à travers notre usine de revalorisation des vêtements d’Hydro-Québec ainsi que dans notre atelier de couture que nos jeunes apprennent différentes tâches de travail. Bientôt, nous ouvrirons notre magasin et nos jeunes devront apprendre différentes tâches qui seront reliées à la vente, mais ils devront faire des maths préparer des bons de commande ainsi que de la facturation.
Nous sommes presque toujours 3 enseignants avec 32 élèves. Tous les jours, nous devons nous dépasser et faire en sorte que nos élèves sentent qu’ils font des apprentissages utiles à leur vie d’adulte. J’enseigne depuis 21 ans. J’ai toujours la passion et le désir de voir mes jeunes se réaliser dans un futur métier. Je leur dis qu’il n’y a pas de sot métier. Chacun peut trouver sa place, mais des commentaires comme ceux fait en début de semaine dans le journal et dans les médias font que certains parents nous arrivent en disant que notre programme « c’est de la marde » Moi j’y crois, j’ai le CFER tatoué sur le coeur tout comme mes 5 autres collègues qui enseignent à ces jeunes de 15 à 18 ans en grandes difficultés.
Si j’avais un souhait à faire ce soir, il serait le suivant. Je vous invite ainsi que M. Dumont à venir passer une journée avec nous et à visiter notre usine. Je vous invite à venir voir ce que nos jeunes font d’extraordinaire. Ils ne seront jamais des médecins, des avocats, des ingénieurs, des dentistes, mais comme je l’ai mentionné plus haut, ils seront des personnes autonomes , des citoyens engagés et des travailleurs productifs.
Normand Maurice a réussi, avec le MELS, à procurer à ses élèves un diplôme et ce diplôme j’y crois. 3 ans, pour ses jeunes, cela peut être long, mais si nous pouvons faire une différence, si ces jeunes ne sont pas sur le BS et bien, je me dis que j’aurai réussi ma job. Des succès on en a. Si vous venez nous rencontrer, nous pourrons vous parler de ces succès chez nos jeunes.
En terminant, dans la vie on a tendance à valoriser juste les bons, juste ceux qui font un bon salaire et ceux qui passent dans des téléréalités. Par contre, on ne valorise jamais nos élèves. Il y aura toujours une place pour les jeunes plus manuels. Des jeunes qui ne demandent pas mieux que d’avoir un travail et de gagner des sous. Il y a une place pour chacun et ce n’est pas en abaissant ce que nous faisons, ce n’est pas en disant que nous donnons des diplômes à rabais que nous allons augmenter l’estime de soi de ces jeunes et faire en sorte qu’ils trouveront leur place de notre société.
Sylvie Desrochers
Enseignante au CFER des Patriotes
École secondaire de Mortagne
Boucherville